Lors du Hellfest 2019 nous avons rencontré et interviewé Necurat (chant) et Sikkardinal (guitariste et compositeur) du groupe Bliss Of Flesh. Amateurs de musique extrême et authentique défendue par des musiciens fidèles à leurs idéaux, Bliss of Flesh, c’est pour vous. Je vous propose de les découvrir via cette interview. N’hésitez pas à aller faire un tour sur le bandcamp et page Facebook.


Commençons d’abord par une petite présentation. Qui êtes-vous et que faites-vous au sein de Bliss Of Flesh ?

Sikkardinal : Je suis Sikkardinal, guitariste, compositeur et fondateur du groupe.

Necurat : Je suis Necurat, chanteur et frontman au sein de Bliss Of Flesh.


Qu’est-ce que Bliss of Flesh en quelques mots ? Si vous deviez présenter votre groupe à des gens qui ne vous connaissent pas du tout, qu’est-ce que vous leur diriez pour les accrocher ?

Sikkardinal : Déjà qu’on n’a pas envie de les accrocher donc ils peuvent aller se faire foutre. Ce qu’on peut leur conseiller de faire c’est d’écouter notre musique de base.

Sinon, Bliss of Flesh c’est du black death français, et encore, ça c’est pour jouer au jeu de la taxinomie parce que les gens adorent pour mettre les choses dans les petites cases. Mais musicalement, on ne cherche pas spécialement à se définir. On se sent plus proche du black metal pour bien des aspects sans avoir pour autant l’impression de faire du black pur. Ce n’est pas ce qu’on fait non plus.

Necurat : Mettre des étiquettes, moi je m’en branle concrètement. Après, on est musiciens, on fait du metal extrême et Bliss Of Flesh c’est ma zone d’expression.

Sikkardinal : C’est un peu comme une catharsis absolue dans la vie de tous les jours et qui existe maintenant depuis quasiment 20 ans.


Comment s’est passée votre prestation ici au Hellfest ?

Necurat : De notre côté, le ressenti sur scène était cool.

Sikkardinal : Même super positif après, si c’est vrai ou pas, on ne sait pas quoi. Ça ne devait pas être si dégueulasse que ça.

Necurat : Les retombées et les retours on n’en a pas eu forcément parce qu’on est sorti de scène et on n’a pas arrêté depuis toute à l’heure. On est allé en interview et on n’a vu personne. Après, les retours qu’on a de quelques personnes étaient plutôt positifs.

Sikkardinal : Mais en même temps, tu ne prêtes pas attention au public. Quand on joue, on est vraiment dans une petite bulle qui nous appartient, qui n’est qu’à nous, qui nous met en transe. Quand on ressort de scène, il nous faut une dizaine de minutes pour redescendre et on ne voit absolument rien de ce qui se passe autour de nous.

Moi je vois le mal, je vois le blanc, j’ai envie de buter, j’ai envie de tuer, je vois des boules de feu, je le vois lui qui crache du sang. C’est plein d’images qui arrivent comme ça, qui possèdent, des paroles qui viennent et qui nous portent. A quelques occasions on a quand même regardé un peu le public. Déjà il y en avait un, c’est déjà bien, on n’a pas joué devant personne, je trouve ça assez cool. C’était blindé et les gens avaient l’air assez réceptifs parce que j’entendais gueuler.

Necurat : De mon côté, j’étais dans ma bulle d’un mètre carré et du coup, je n’ai pas vu ce qui se passait en fait. J’étais vraiment transporté, je ne sais même pas si j’étais là en fait, c’est bizarre mais c’est un peu comme ça. Lui, il lui faut dix minutes pour se remettre. Moi, je n’ai pas encore commencé, faut que je picole un peu pour redescendre.

Sikkardinal : C’est ce que je disais tout à l’heure aussi, c’est que le jour où on perdra ça, c’est le jour où il faudra arrêter le groupe.

Necurat : Si on n’a rien à dire, rien à exprimer, on ne monte pas sur scène.

Sikkardinal : On n’a jamais été forcé et on ne s’est jamais forcés à jouer. On ne s’est jamais forcé à rentrer dans état de transe, ça se fait vraiment très naturellement. Et si on perd ça, moi j’ai l’impression qu’on perd tout.


Qu’est-ce que vous préférez: jouer dans une petite salle underground ou dans un grand festival comme ici ? Qu’est-ce qui, selon vous, met le plus en valeur le groupe ?

Necurat : Et du coup, ce que je voulais dire c’est qu’on accorde de l’importance à ce qui se passe sur scène. Etant fan aussi à côté, s’il y a un truc que je ne supporte pas, c’est d’aller voir un groupe où il ne se passe rien sur scène. Je préfère être dans mon salon à écouter l’album, le son sera meilleur, les mecs bourrés me casseront moins les couilles et je pourrai boire ce dont j’ai envie chez moi.

Si on est sur scène c’est pour que ce soit la guerre et qu’on défonce. Sinon, on ne vient pas. Et pour moi, c’est obligé que ça fonctionne en lien avec un album. Un album pour moi, en tout cas dans notre conception du groupe, ne peut vivre que s’il y a une vie sur scène.

Sikkardinal : Là, la scène d’aujourd’hui c’était excellent pour exprimer ce qu’on voulait faire avec tout le show qu’on voulait travailler parce que clairement, on a toujours considéré que la musique en elle-même pour un live, ne suffit pas. Ce qu’on cherche, c’est emmener l’auditeur dans notre univers. Le forcer à venir, enfin il part s’il veut mais de notre côté, pas de compromis. Et pour faire ça, on a quand même besoin de moyens et c’est clair que les grosses scènes s’y prêtent beaucoup plus.

L’exemple le plus concret, c’est cracher le feu, tu ne peux pas le faire sur une petite scène. D’un autre côté, on garde d’excellents souvenirs de proximité de petites salles aussi. Tu peux rentrer dans les gens, tu as un contact, tu peux les choper en face. Moi, j’ai des souvenirs comme ça de coups de têtes mis en jouant. Tu partages cette violence là et ces liens qui se créent, cette intensité-là, c’était bon à trouver. Là évidemment la distance tu ne l’as pas mais en revanche visuellement, tu peux faire plus de choses.

Necurat : Il y a plusieurs questions dans ce que tu dis. Perso, j’aime bien l’ambiance des petits festivals avec la proximité du public et tout ça. Très clairement c’est la branlette ce que je te dis parce que tout le monde dit ça, mais moi j’aime bien parce que concrètement depuis le temps que je joue et tout, j’aime bien cette proximité-là. Toutefois, avec Bliss, je trouve que les scènes comme ça (Hellfest) c’est vachement plus intéressant parce qu’on peut développer au maximum ce qu’on a envie de faire sur scène.

C’est-à-dire que si tu es à un mètre de moi, je ne vais pas pouvoir cracher du feu sur ta gueule. Je ne pourrais pas tout développer. Il y a vraiment des choses au niveau scénique qui nous transportent et qui nous importent vraiment qu’on ne peut exprimer que sur des grosses scènes et de ce fait là, c’est un peu paradoxal, mais j’aime bien les deux.


Le groupe a déjà une vingtaine d’années, y-a-t-il encore un rêve que vous souhaiteriez accomplir, un objectif que vous aimeriez atteindre ?

Necurat : Après moi pour ma part, les rêves, je ne suis pas trop là-dedans parce que les rêves c’est quand je suis dans mon lit. Après, comme dit Sikkardinal, on a toujours réussi à valider nos objectifs et à aller au bout de ce qu’on voulait faire. Là maintenant, je pense qu’on va continuer ce qu’on sait faire de mieux à savoir, écrire de la musique.

Et après là, on est venu au Hellfest on a vu où c’était, on commence à repérer les lieux. La prochaine fois, faudra qu’on vienne mais sur la mainstage, on jouera le soir et on jouera plus longtemps. Et là, ça sera bon.

Sikkardinal : Le truc des rêves, c’est que clairement, on préfère vivre nos rêves que rêver nos vies comme disait Saint-Exupéry. Donc, il y a des choses aussi qu’on s’interdit de faire mais en choses réalisables, je parlerais plutôt de projets que de rêves parce qu’il y a un côté inatteignable. Moi, j’aimerais beaucoup qu’à un moment on puisse réussir à travailler avec un orchestre, une symphonie qui pourrait sur certains passages apporter quelque chose. Le but ce n’est pas de faire du Dimmu Borgir, ce n’est pas l’idée mais il y a un truc dans les riffs de Bliss qui pourrait coller avec une symphonie. A un moment on s’était même posé la question pourquoi pas de faire un album acoustique, après les gens peuvent détester mais on en n’a vraiment mais rien à branler. Il y a pas mal de morceaux qui s’y prêteraient bien et des riffs qui pourraient le faire et du coup, c’est vrai que parfois, en termes d’arrangements, on aimerait avoir des moyens qui nous permettrait d’atteindre l’objectif sonore qu’on voudrait avoir.

Cela dit, au-delà de ça, très honnêtement, les objectifs qu’on s’est fixés on les a quasiment déjà tous atteints. On voulait déjà continuer le groupe, faire des albums qui nous plaisent, avoir la chance de les défendre sur des scènes crédibles. S’il y a peut-être un objectif à vouloir, c’est faire en sorte que ça dure, juste ça, parce qu’on n’est jamais à l’abri après des lendemains qui déchantent. Pour l’instant et ce depuis le début du groupe qui existe depuis pas mal d’années maintenant, on a fait qu’avancer petit à petit et les fois où on a reculé, c’était pour mieux avancer. Pour l’instant je me dis que si on garde cette dynamique et que ça peut perdurer encore, sincèrement, où nous retrouveras-tu d’ici quelques années, je ne sais pas.


Justement pour rebondir là-dessus, le timing qui vous a été accordé, vous pensez que c’est suffisant ou pas ?

Necurat : Il nous faudrait plus de temps mais après on a déjà la chance d’être là donc on ne va pas cracher dans la soupe non plus. Mais clairement quand tu veux réussir à créer une ambiance, emmener les gens sur ton univers puis montrer des morceaux qui peuvent être parfois plus complexes et que tu as 30 minutes de show, tu es obligé de tailler dedans pour faire quelque chose qui soit efficace, laisser une empreinte ou ne serait-ce qu’un léger souvenir dans la mémoire de personnes qui vont voir des centaines de groupes en trois jours. Ce n’est pas forcément évident, ce qui veut dire que si tu veux faire des choses un peu plus complexes ou qui nécessitent un peu plus de temps et d’énergie pour entrer dedans, c’est très compliqué.

Les 30 minutes de ce matin, c’était court mais il fallait que sur ce format-là, on arrive à marquer les gens à notre manière et c’est pour ça qu’on a aussi accentué le show sur « un vrai show ». Il fallait qu’il se passe des choses en 30 minutes pas juste un groupe qui arrive de nulle part et qui vient jouer un dimanche matin un troisième jour de festoche. C’était notre manière de voir les choses et voilà comment on a orienté les choses pour ce show.


Où est-ce que vous puisez votre inspiration et quels sont vos thèmes de prédilection ?

Sikkardinal : Il y a une ligne directrice quand même dans l’ensemble, que ce soit pour la composition de la musique ou la composition des textes que fait Necurat. Les trois premiers albums portaient sur la Divine Comédie de Dante. On retrouvait un peu l’idée d’un parcours initiatique qui amenait à chaque fois à se questionner sur ce qu’on est et nous, ce qu’on aime beaucoup c’est cette démarche-là, de se remettre continuellement en cause avec une sorte de doute cartésien qui t’oblige à devoir faire face à tes propres complexités et à réaliser au final qu’on est dans un monde d’hypocrisie perpétuelle et très peu de gens prennent le temps de se poser quelques instants pour s’interroger sur le sens de leur vie et de réaliser qui ils sont, parce que ça fait peur. C’était un peu ce dont parlait le triptyque qui était écrit sur notre banderole. Il était écrit: « humiliation, suffering, climax » donc « humiliation, souffrance, orgasme », c’est le parcours de la pensée d’une certaine façon; qu’on a depuis « Emaciated Deity », qu’on a toujours là encore aujourd’hui après « Empyrean » et sur le nouvel album qui va arriver, même chose.

Pour répondre plus précisément à ta question, Dante c’était l’inspiration pour les trois premiers albums. Le nouvel album qui va arriver là, qui est quasiment achevé puisqu’il a été composé, les voix ont été enregistrées, il nous reste le mix et le mastering. Il devrait sortir en janvier 2020 chez Listenable Records. Il va porter sur un livre de La Boétie (Discours de la servitude volontaire) qui parle de la servitude volontaire et de thématiques qu’on retrouve aussi chez Montaigne dans ses Essais. C’est une pensée qu’on aime beaucoup et qu’on retrouve dans les dialectiques d’Hegel qui est le questionnement de l’esclavage, en se disant que l’esclave est en réalité celui qui est le maître avec cette phrase de la Boétie qu’on aime beaucoup qui est qu’au final les tyrans ne nous paraissent des géants que parce que nous acceptons de nous mettre à genoux devant eux et que c’est qu’on accepte ça. Qu’est ce qui fait qu’on accepte d’être esclaves ? Notre but c’est de nous amener à se questionner. On n’a pas forcément de réponse mais on a pas mal de questions. Ça ça nous motive dans notre composition.


Quelle est la suite du programme pour 2019-2020 ?

Sikkardinal : On a des dates qui arrivent sur 2019 mais l’objectif là, c’est la sortie de l’album. On n’a jamais sorti un album si tôt, on n’a jamais composé un album aussi vite et on n’a jamais fait un album aussi bon, étonnamment.

Necurat : L’idée, ça va être de vraiment bien promouvoir le nouvel album et de tourner un maximum.


Je vous laisse le dernier mot de l’interview.

Sikkardinal : En ce qui me concerne je pense à une citation d’Alfred Jarry qui se trouve en préface d’Ubu roi où il dit « Aut nunquam tentes, aut perfice ». C’est une phrase que je ressors très souvent et qui signifie soit tu ne fais rien, soit tu vas jusqu’au bout. Et ça, je crois que ça nous résume bien.

Necurat : Moi j’aurais bien dit d’aller se faire enculer parce qu’en fait, je m’en branle parce que nous, on fait ce qu’on a à faire et fuck off. Ce que je sais c’est que ce qu’on fait, on le fait en notre âme et conscience et ça, ça n’a pas de prix. Donc, allez vous faire foutre.


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