C’est entre les murs du Musée Royal de l’Armée et d’Histoire Militaire que j’ai rencontré Pär Sundström, le bassiste de Sabaton. Le groupe de power metal suédois est sur le point de sortir son neuvième album studio, « The Great War ». Comme son nom l’indique, ce disque est dédié à la Première Guerre Mondiale. Mais avant de discuter de cela avec Pär, j’ai dû traverser le musée et j’ai pu observer son immense collection. Même si tout ce qui concerne la guerre ne m’intéresse pas vraiment, j’ai été réellement impressionnée par la qualité de conservation des nombreux éléments exposés. J’ai été d’autant plus subjuguée en entrant dans le hangar rempli d’avions authentiques où l’interview s’est déroulée.
C’est assez original, mais ça a aussi beaucoup plus de sens pour Sabaton de faire cette interview ici, plutôt que dans le lobby d’un hôtel ou quelque chose dans le genre. Je sais maintenant, grâce à Chris (l’un des promoteurs), d’où est venue cette idée, mais comment te sens-tu à l’idée d’être ici aujourd’hui ?
Une grande partie de ce musée est dédiée à la première Guerre Mondiale. Et ce n’est pas si courant. On est souvent invités dans différents musées et la plupart d’entre eux se concentrent sur la seconde Guerre Mondiale, comme partout dans le monde. Cette guerre a toute l’attention des médias, sauf depuis quelques années, à l’approche du centenaire de 14-18. Mais pouvoir me promener ici… C’est aussi intéressant, parce que c’est le premier musée sur la Première Guerre Mondiale que je visite. Donc, pour moi, c’est aussi intéressant, tu vois, ayant grandi en Suède, on n’apprend pas grand-chose sur la Première Guerre Mondiale. On sait qu’elle existe parce qu’il y en a eu une deuxième après. Et on a lu un livre à l’école primaire, « À l’Ouest, rien de nouveau ». Mais à part ça, on n’en sait pas beaucoup plus en Suède. Donc, quand on a fait cet album, on en a beaucoup appris.
C’est pour ça que vous avez choisi ce thème en particulier pour ce nouvel album ?
Non, ce n’est pas pour ça qu’on l’a choisi. On a déjà chanté quelques chansons sur cette guerre par le passé. Et on l’a toujours trouvée très intéressante, sous plein d’aspects. Il y a tellement d’histoires et d’angles différents et bien sûr, il y a un conflit de masse. Il y a donc beaucoup d’histoires à raconter. Puis, c’est un thème qui colle bien à notre musique et quand on l’avait abordé par le passé, c’était bien. Et grâce au centenaire, on a senti que c’était le bon moment pour faire cet album-là. Nous avons discuté d’autres sujets, mais ils sont reportés à plus tard.
« The Last Stand » est sorti il y a déjà trois ans. De combien de temps avez-vous eu besoin pour préparer votre nouvel album ? Est-ce que tu peux résumer son processus de création ?
À un moment donné l’été dernier, nous avons décidé du sujet. On connaissait déjà nos deadlines. Parce que c’est le genre de choses qui doivent être en place assez à l’avance, pour qu’on puisse booker le studio, rendre nos masterings et s’assurer de ne pas manquer la date de sortie. Donc, c’est comme ça que tout fonctionne. On a besoin de tout prévoir à l’avance, donc on a booké le studio peut-être un an et demi avant d’y entrer. C’est à peu près dans ces eaux-là qu’on doit prévoir certaines choses qu’on doit faire. Mais ce n’est pas à ce moment-là qu’on choisit le sujet. Ça, on l’a donc décidé l’été dernier. Et à la fin de l’été dernier, après les concerts et festivals d’été, disons à la fin du mois d’août, c’est là qu’on a commencé la composition à proprement parler. Au même moment, on a aussi réuni différentes idées de sujets : d’un côté, la musique prenait forme et d’un autre on développait les thèmes. Mais aucun texte n’était encore écrit à ce moment-là. Donc, vers le mois de novembre, juste avant d’entrer en studio, on avait les titres, les démos et beaucoup de sujets différents. Et c’est là qu’on a commencé à faire une sorte de puzzle, comme : « Cette chanson me donne tel type d’émotion, on doit l’associer à ce genre de sujet », et quand on avait quelque chose qui matchait, on a pu faire des recherches et écrire les paroles. Les recherches pour cet album ont été assez simples pour nous en comparaison des autres albums, parce que nous avons un grand historien à nos côtés maintenant, Indiana Neidell, qui gère la chaîne historique de Sabaton sur YouTube. C’est un expert de la Première Guerre Mondiale, il a constitué la plus grosse documentation historique sur cette guerre. Donc, il n’y avait aucun problème pour nous de simplement lui demander n’importe quelle information ou comment en trouver sur n’importe quel sujet. Il est toujours d’accord de nous aider. Il nous raconte les histoires de manière passionnée et peut aussi nous amener aux sources dont on a besoin. Donc, les recherches pour cet album n’ont pas été, dieu merci, si difficiles.
Justement, il existe une version historique de l’album. Est-ce une idée d’Indiana ?
Non, l’idée de cette version historique est venue à la fin du processus de création de l’album. À la fin du mix, en gros. Je voulais essayer de faire quelque chose parce que beaucoup de gens ont dit adorer quand on propose des albums avec un concept plus profond, quand tu as une narration qui lie les titres entre eux et donne quelques informations historiques. Des gens ont dit avoir aimé ça sur « The Art Of War ». D’autres, s’en sont plaints parce que ça ruine leur expérience d’écoute, si tu sors un morceau de l’album et que tu le mets dans ta playlist préférée. Donc, je suis tout à fait d’accord avec l’idée et c’est pourquoi j’ai décidé de faire deux versions différentes pour les auditeurs. Ce que je veux dire, c’est que si je suis assis là à écouter ma playlist préférée remplie de chansons festives, je n’ai pas envie qu’une femme arrive et explique le background d’un morceau, je veux juste l’action du heavy metal. Mais si tu veux vraiment profiter de l’album et l’écouter du début à la fin et que tu veux en savoir un peu plus à propos des chansons, la version historique est définitivement la meilleure version pour apprécier l’album. Cela ne t’en apprend pas tant que ça, mais ça te met dans l’ambiance et t’explique un peu de quoi parle le prochain titre. Donc, ce n’est pas un outil d’apprentissage. Mais nous avons aussi une version de l’album qui instruit vraiment, elle est pour les supporters et backers de la chaîne YouTube de Sabaton. Donc, il y a cette différente version de l’album où Indy explique des choses, il parle d’Histoire au sens propre, aussi entre les chansons. Je pense que c’est un peu lourd pour la majorité des gens, parce que c’est beaucoup d’informations. C’est sympa si tu veux écouter un album et avoir toutes ces informations entre deux morceaux et je pense que certaines personnes vont adorer ça. Je l’ai beaucoup apprécié quand je l’ai écouté, donc on verra !
On parlera de musique plus tard, comme tu viens d’évoquer votre chaîne YouTube historique. Quels sont les retours que vous avez reçu sur ce projet jusqu’à présent ?
Je savais depuis le départ qu’on ne pouvait pas mal faire avec la chaîne historique de Sabaton. Tout d’abord, ce n’est pas obligatoire, tu n’es pas obligé de regarder si tu n’en as pas envie. Donc, je n’ai vu aucun mal à ça. Le seul mal que je peux accepter, c’est que quelqu’un dise : « Oh vous avez passé du temps à ça au lieu d’écrire de nouveaux morceaux ». Mais ce n’est pas tellement vrai, parce que ce n’est pas la même chose. Je sais qu’on aurait pu faire un concert en plus au lieu de filmer des épisodes ou peu importe, mais ce ne sont pas des arguments très forts. Donc, je savais qu’il y aurait des gens très contents et des gens qui s’en fichent complètement. Et pour ça, c’était suffisant pour moi. Ça n’a pas été compliqué de décider de le faire une fois qu’on savait ça. Mais il y avait d’autres choses à prendre en considération… Ce que je veux dire, c’est que quand j’en ai parlé à Indiana et que je lui ai demandé s’il voulait le faire, il a répondu : « Hell yeah ! C’est une idée géniale ». Mais c’était juste le début. Ce que je veux dire, c’est que ça demande une équipe complète. Il y a à peu près dix personnes qui travaillent sur chaque épisode que l’on sort assez régulièrement, comme un par semaine. Donc, ça demande beaucoup de travail, aussi bien de préparation que d’exécution. Et on a aussi beaucoup d’idées sur la façon dont on va faire évoluer le projet dans le futur et ça va demander encore plus de gens. Donc, c’est un gros projet et ça nous a pris à peu près huit mois pour qu’on puisse publier le premier épisode. C’était aussi relativement épuisant parce que la majorité des finitions ont été faites au même moment que la compo du nouvel album, le morceau sur l’histoire du Bismarck, tout en travaillant sur un tout nouveau site web. On a aussi fait évoluer la « Sabaton cruise », maintenant c’est le « Sabaton battleship ». Donc, on était en train de travailler sur beaucoup de choses différentes en même temps et c’était assez fatiguant, autant pour les membres du groupe que pour les gens qui travaillent avec nous, parce qu’on n’est pas habitués à ça. Je suppose que ces six derniers mois, j’ai travaillé un peu plus que mes 16 heures quotidiennes habituelles.
Maintenant, revenons à ce nouvel album pour lequel vous avez commencé l’enregistrement le 11 novembre dernier, ce qui est assez symbolique. C’était un choix ou c’est arrivé par hasard ?
Cela semble hilarant, mais ce n’est pas un choix, ça aurait dû, mais ça n’a pas été le cas ! On devait booker le studio très en avance, donc nous ne pouvions pas prendre ça en considération. On ne savait même pas à l’époque qu’on allait faire un album sur la Première Guerre Mondiale. Donc, ça s’est passé par hasard et ça tombait vraiment bien !
Autrement, il y a quelques choses fascinantes au sujet de la musique de Sabaton et j’imagine qu’on vous en demande beaucoup là-dessus. La première chose, c’est que vous avez définitivement votre signature musicale, mais n’est-ce pas difficile, à force, de renouveler vos riffs ?
Bien sûr, si on voulait tout renouveler à chaque fois, ce serait vraiment difficile, mais nous ne sommes pas très enthousiastes à cette idée de tout renouveler, on n’en ressent pas le besoin. Ce qui est important pour nous, c’est de sortir un bon album qui sonne comme Sabaton et s’assurer que les fans ne soient pas inquiets, qu’ils puissent se détendre parce qu’un nouvel album arrive et qu’il va sonner comme Sabaton, avec peut-être quelques petites améliorations. Donc, on n’a pas vraiment besoin de beaucoup évoluer, on a juste besoin d’essayer de faire de super chansons.
Avez-vous eu des inspirations musicales particulières pour cet album ?
Musicalement, pas vraiment. Les chansons sont ce qu’elles sont. Tout a été composé avant l’écriture des textes pour être certains de le faire comme un groupe de heavy metal.
Donc, une autre chose vraiment intéressante dans votre musique, qui me semble un peu contradictoire personnellement, c’est que vous arrivez à faire une musique puissante et positive sur une des pires choses qui existe, la guerre. Qu’est-ce que tu en penses ?
Je pense que peu importe la façon dont tu le fais, comment tu vas raconter l’Histoire, comme ici, le fait d’être dans un musée… On fait la même chose que ce musée. On préserve une part de l’Histoire. On la raconte juste de manières différentes et intéressantes. Certaines personnes ne veulent pas venir ici, ou ne veulent pas lire un livre, mais il peuvent écouter une chanson. Donc, dans ce sens-là, on fait simplement la même chose que ce musée.
C’est une question que la plupart des artistes détestent, mais as-tu une chanson préférée sur « The Great War » ?
Probablement la piste principale, je pense que c’est une chanson géniale. Elle me fait penser à une sorte d’hybride entre nos chansons « Primo Victoria » et « Carolus Rex » et je ne crois pas qu’on puisse se tromper avec ça. Musicalement, je l’ai aimée depuis le début et quand j’en ai écrit les paroles, j’ai vraiment été très inspiré. L’artwork était en cours de réalisation à ce moment-là, donc c’était d’autant plus intéressant. Je voulais que cette chanson pose la question de ce qui est si grand à propos de cette guerre ? C’était l’idée principale. Tu vois, pourquoi on l’appelle la « Grande Guerre » ? C’était l’idée derrière cette chanson.
J’ai personnellement bien aimé « The Future Of Warfare », mais aussi « In Flanders Fields », qui est complètement surprenante. Tu as un commentaire à faire sur cette chanson ?
Ouais. La chanson d’avant, « The End Of The War To End All Wars » représente l’un des moments les plus épiques et grandiloquents dans l’histoire de Sabaton. Tout a 10/10 là-dessus. Si on avait fini l’album comme ça, les gens auraient été choqués, ç’aurait été une fin trop brutale, vu qu’on les emmène très haut, la chute aurait fait mal. Donc, on voulait plutôt finir l’album en douceur et c’est pourquoi ce morceau est là. En fait, ça a pris pas mal de temps de réfléchir à son orchestration et ses arrangements. Nous avions d’abord l’idée de la faire avec batterie et guitares, mais on l’a ramenée aux chœurs seuls. Les filles qui chantent là font partie de la chorale qui est avec nous depuis 2005 à l’époque de « Primo Victoria ».
Justement, est-ce que vous prévoyez un release show avec la chorale ou prévoyez-vous de les emmener en tournée ?
Ouais. Pas celles qui sont sur l’album, mais une autre chorale que l’on prévoit d’emmener au Graspop et on l’appelle la « Great War Choir ».
D’un autre côté, le nouvel artwork est assez fort et pour moi, il tend à montrer le chaos et le désespoir d’un soldat pendant cette « Grande Guerre ». Tu as un commentaire à faire à ce propos ? Et est-ce que le personnage représente quelqu’un en particulier ?
Il parle aussi du titre principal en quelque sorte. L’artwork représente tout un tas de choses de la guerre et tu peux voir différents détails qui ne peuvent pas se retrouver sur le même champ de bataille. L’histoire du titre principal se déroule à Passchendaele, mais la pochette est plus générale quant à la Première Guerre Mondiale avec plusieurs choses qui ne se trouvent normalement pas au même endroit au même moment.
Autrement, j’ai lu dans la presse française que vous avez fait une sorte de pèlerinage en visitant Verdun et d’autres endroits symboliques de la Grande Guerre. Pourquoi avez-vous décidé de le faire et quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?
On savait depuis le début que la bataille de Verdun était l’un des sujets que l’on allait aborder sur l’album. Alors, on a pensé à y aller et on se doutait que quelques médias d’ailleurs n’entendraient jamais parler de ça, donc a voulu les emmener avec nous. Et nous ferons la première présentation officielle de l’album à Verdun. C’était l’idée que nous avions en tête et cela nous a donné l’opportunité d’aller là-bas quelques jours pour tout visiter… Enfin, pas tout, il faut beaucoup plus que quelques jours mais on a quand même vu quelques trucs. Et c’était aussi intéressant pour tout le groupe, car normalement c’est le chanteur et moi qui écrivons les paroles. Là, tout le monde était présent pour en savoir un peu plus. Je pense que cette visite a été bénéfique pour chacun d’entre nous.
Vous avez déjà visité Bastogne, ici en Belgique ? Qui est plutôt un endroit lié à la Seconde Guerre Mondiale…
Oui, on a passé une journée là-bas, on est allés dans les bois avec un guide historien et on a passé la journée en ville.
Avec ce genre de visites, est-ce que vous avez touché un public différent, vu que les médias généraux se sont intéressé à vous ?
Oui, effectivement. Principalement parce que nous étions aussi présents. C’était un peu une histoire intéressante pour tout le monde : pourquoi un groupe de metal va là ? Pourquoi un groupe de metal fait ça ? Donc, c’était un peu différent que la majorité des magazines de rock habituels.
C’est aussi l’anniversaire de Sabaton cette année, vous atteignez 20 ans de carrière. Quelle est la première chose à laquelle vous avez pensé quand vous l’avez réalisé ?
On ne regarde pas souvent en arrière avec Sabaton et ce qu’on a fait, accompli etc. Mais de temps en temps, ça arrive. Mais pour nous, c’est comme si il n’y avait pas encore 20 ans d’écoulés et nous n’étions pas spécialement emballés de faire quelque chose de spécial. On aurait sorti l’album de toute façon et je suis sûr que nous aurions sorti la chaîne historique aussi. Mais « Bismarck », c’est l’histoire qui est liée à ça, avec l’idée d’offrir quelque chose aux fans pour leur 20 années de fidélité. Ce n’est pas quelque chose du passé, mais quelque chose pour le futur. Et c’était le sujet le plus attendu pour une chanson de Sabaton, sauf peut-être Star Wars. Enfin, c’est pour ça que nous avons fait cette chanson.
Finalement, comment tu imagines Sabaton avec 20 années de plus ?
Je l’imagine similaire à ce que nous sommes aujourd’hui, avec juste un peu plus d’expérience, je suppose et toujours en train de grandir !
J’en avais maintenant terminé avec mes questions, mais les promoteurs n’étaient plus en vue. Donc, nous avons commencé à discuter de choses et d’autres. Il s’est avéré, au cours de la discussion, que Pär n’est pas seulement un membre de Sabaton, il gère beaucoup d’autres aspects dans les coulisses du groupe, comme prendre part à la réalisation des clips, le management du groupe et l’organisation de son propre festival, le « Sabaton Open Air Festival ». Il s’intéresse aussi beaucoup aux nouveaux et jeunes groupes suédois et plus encore, il les aide à se développer en faisant leur promotion. Pour lui, c’est vraiment important que la scène continue de grandir et de se diversifier pour qu’elle perdure. C’était une conversation réellement intéressante qui apportait une vision différente de l’artiste qui, au-délà d’être musicien au sein d’un des plus grands groupes actuels, demeure un individu investi et passionné.
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