Sortie : 2016

Style : Dark Ambiant / Néo méditative -contemplative music

Label : Counsouling Sounds

Pays : Belgique

CHVE

CHVE sont les initiales de Colin H. Van Eeckhout. Il s’agit ici, de l’œuvre personnelle et intimiste de LA voix et l’un des 5 cœurs d’Amenra. Originaire de Courtrai, Colin est à la base issu du milieu hardcore. Il a officié dans plusieurs formations dont Spineless. Il est présent dans bon nombre de collaborations musicales et artistiques dans différents milieux.

En particulier connu pour son identité de  chanteur charismatique au sein du groupe fondateur de la Church Of Ra. Je le qualifierais comme étant pourvu d’une « humilité charismatique ». C’est une personnalité qui fuit une certaine mise en lumière tout en étant propulsé par sa propre puissance artistique présente dans tout ce qu’il entreprend et le mettant inévitablement en avant. Il transmet cette impression paradoxale d’expérience mystique vécue dans la douleur propre à ceux qui créent avec leurs tripes. On peut nommer ça une psychomachie.

Je pense que l’on admire ou non, mais ça ne laisse pas indifférent.

Cet opus paru en 2016 chez Counsouling Sounds (Gent-Belgique), suit la précédente sortie de l’artiste, RASA (2015) et la prolonge. Il s’agit d’une piste de 26 minutes qui comporte 3 titres : « RASA », « Le Petit Chevalier » et « Charon ». C’est un enregistrement “live” retravaillé.

Le fil conducteur de ces plages sonores est la vielle à roue que CHVE utilise comme un véritable creuset imposant ses longues et solennelles nappes méditatives. Cet instrument est originellement médiéval, son corps est proche de celui d’un luth. Vous pourrez découvrir ici la portée d’un tel support couplé à la voix « angélique » de Van Eeckhout qui alterne psalmodies, chants et murmures.

Le tout rythmé par une batterie discrète et quelques lignes de basse. Cela peut paraitre brut de prime abord mais il n’en n’est rien. Le travail du son et la consistance sont bel et bien présents, aucun sentiment de vide n’est à déplorer.

« Le Petit Chevalier » est un titre de Nico, des années 70 aux paroles évocatrices.

La redondance du phrasé combinée à la vielle sont tout à fait hypnotiques tout comme le placé de chant aux mélismes typiquement médiévaux.

Subjectivement, le chef d’œuvre de cette pièce est ce troisième titre, Charon. Il recèle une volubilité éthérée délicieusement amère et tout particulièrement propre à Colin Van Eeckhout. La vidéo de ce titre est somptueuse et met en scène les fils du musicien. Dans la mythologie grecque, Charon est le passeur d’âmes, le nocher qui fait traverser les eaux du Styx aux âmes des morts. Tout cela est très imagé, un père et ses fils, la transmission, le passage de la génération précédente.

Quoi qu’il en soit, les trois titres sont indissociables.

Cette façon de transporter l’auditeur dans cette ambiance monolithique et opaque n’est pas sans rappeler les liens profonds qui unissent Colin et le groupe d’Oakland, NEUROSIS voir plus précisément Scott Kelly dans son travail avec “The Road Home”.

C’est sous la forme d’un digisleeve que j’ai acquis cet « album ». Le support physique est d’une importance sans pareil. Le concept visuel développé autour de la musique par le biais du packaging est capital. C’est le renforcement du sentiment autour d’une œuvre sonore et mélodique.  On pourrait en utilisant un oxymore, dire ici que nous somme face à un tableau « richement dépouillé ». Ce qui à mon sens sied parfaitement au type de mise en scène iconographique qu’utilise CHVE.

Le digi est noir mat avec en couverture, un médaillon central et circulaire contenant la photo en dégradés de gris, d’un agneau noir fraîchement né et semblant faire ses premiers pas.

À l’ouverture du digipack, on retrouve ce médaillon circulaire mais blanc obturant le visage de Colin occupé à jouer de la vielle.

Cela met en évidence plusieurs choses permettant d’entrer dans sa dimension artistique.

En premier lieu, il ne montre pas cette “figure” connue, celle du « chanteur d’AMENRA ».  Ce qui peut sembler vain car c’est sa marque de fabrique scénique, évoluant en live en grande partie de dos dans une forme d’auto repli. Ce paradoxe offre donc les deux perspectives de la démarche.

La vielle est mise en avant photographiquement, ainsi que les mains de l’artiste, montrant le chemin à l’auditeur sur ce qui est primordial dans l’œuvre.

Dernièrement et non des moindres, l’image de l’agneau qui d’un pan à l’autre s’intercale parfaitement dans cette forme solaire pour ainsi prendre la place du vielliste.  Une forme d’allégorie de lui-même en filigrane de cette figure iconographique christique de l’Agneau  Mystique venant laver l’humanité de son péché de par son innocence.

Mais cet agneau est noir, ce qui nous ramène au mouton noir, le personnage sombre, marginal, celui qui marche seul.

Ce qui me parait d’autant plus évident lorsque l’on s’attarde plus profondément dans le livret, c’est le rapport à l’art et à la mort.

Au cours des différentes photos, on découvre que cet agneau noir  est en fait naturalisé, donc mort. Si vous avez visionné le documentaire «Le Petit Chevalier », Colin s’exprime sur sa vision de la vie, de la musique, de la famille et de l’art. Il y parle de la perte de son père et d’une espèce de fatalité/malédiction familiale voulant que les hommes des générations précédentes n’aient pas fait  de vieux os. Il vit et crée comme si ses jours étaient comptés, comme si il avait une « deadline ».

Dans ce livret hormis une photographie très épurée de lui-même, vous trouverez également, une partie mutilée de son corps (les mamelons) disposés sur une table… « Ceci est mon corps »… Ainsi qu’un reliquaire les contenant, comme deux hosties en suspension. Témoignant de cette mort en suspens. Car en effet, les reliquaires ne contiennent que très rarement les reliques de personnes vivantes (des exceptions ont existé par le passé en Europe). Sauf si ces reliques sont contenues dans un ciboire et sont des hosties nommées « le corps du Christ » (le Christ étant ressuscité, donc vivant aux yeux des chrétiens).

Il y a ici une vraie volonté cathartique (au sens propre) et ascétique qui n’est pas étrangère à une vision christique du « straight edge ».

Je ne peux que vous conseiller de vous procurer ce CD, de l’écouter seul. Consultez les vidéos se rapportant à cet opus, contemplez le livret et prêtez sens à ce concept artistique dans sa globalité.

Vous pourriez plonger profondément en vous-même…