Retour sur deux jours de" festival noir"
Les 21 et 22 octobre derniers se tenait la sixième édition du Tyrant fest à Oignies (Pas-de-Calais), en plein cœur du bassin minier. Si on le surnomme affectueusement le « festival noir », ce n’est pas tant en référence au genre black metal qui est plutôt bien représenté ici, mais grâce au lieu du festival. On se retrouve sur un ancien lieu majeur de l’exploitation du charbon. Un lieu historiquement fort qui possède des bâtiments emblématiques, comme les chevalements (grandes tours servant à descendre les mineurs dans la fosse et à les remonter) qui se découpent dans le ciel brumeux et pluvieux de ce samedi d’octobre. Ambiance. Le 9-9 bis est un bel exemple de reconversion du patrimoine minier puisque le site a fêté cette année les dix ans de la création du Métaphone, une salle de concert pouvant accueillir jusqu’à mille personnes et dont les parois extérieures sont ornées d’instruments de musique reliés à des haut-parleurs !
Un site remarquable donc, dont la visite est proposée durant les deux jours du festival juste avant le début des concerts. Se cultiver avant d’aller se prendre des tartines de sons dans la tête, riche idée. Le fest propose également des randos aux flambeaux et un spectacle pyrotechnique, sympa.
Le Tyrant Fest est réparti sur deux salles : le Métaphone et l’Auditorium. Un espace couvert est dédié aux exposants (libraire, luthier, brasserie…) et il y a un espace pour se restaurer pénard à l’abri. Petit bémol justement point de vue nourriture : les deux foodtrucks étaient de qualité mais on avait le choix entre burger ou …burger (dont un végé).
Jour 1
Deliverance, Witching, Penitence Onirique, Nature Morte
Ça commence fort avec Deliverance. Pas de banjo ici mais un quatuor qui mêle black metal, post et sludge avec brio. On retrouve Pierre Duneau au clavier et au chant, maquillage noir et blanc et Etienne Sarthou à la guitare (AqME, Karras, que l’on retrouvera plus tard). Très progressif, on passe par plein d’ambiances différentes, planantes et lourdes, angoissantes et éthérées, le public déjà présent du Métaphone est conquis. Cette belle odyssée déjà terminée, on se précipite vers la toute petite salle de l’Auditorium pour aller voir Witching qu’il me tardait de voir en live.
Les cinq comparses de philly occupent tout l’espace de la petite scène et nous envoient, après une petite intro calme, leur sludge/doom bien énervé à la face. La voix bien black de Jacqui Powell vient nous décoller les poils à la racine. Ça tricote dans tous les sens et les cinq morceaux tirés de l’album Incendium sorti ce mois-ci (octobre 2023) passent à une vitesse folle. Une belle pépite live comme on aime en découvrir.
C’est au tour de Pénitence Onirique d’occuper le Métaphone. Les musiciens commencent de dos et, pour garder le mystère intact, arborent des masques. Sublimes, très poétiques. C’est parti pour quarante-cinq minutes de black metal droit, très propre, avec de véritables moments de mélancolie et la voix de Logos est parfaitement maîtrisée. Le groupe nous déroule un set impeccable et on a hâte d’écouter le prochain album qui sortira courant novembre. Celui-ci s’intitule Nature morte et ce n’est autre que le nom de groupe suivant, coïncidence ou … ?
Retour à l’Auditorium qui, décidément, portera tous les coups de cœur de la journée puisque c’est au tour de Nature Morte d’enchanter la salle. Les jeux de lumières sont particulièrement réussis, intimistes au possible et contribuent véritablement à l’expérience que propose le groupe. La musique n’est pas en reste et on pense au dernier album en date sorti en septembre , Oddity, qui avait été la belle surprise de la rentrée. Leur post-black, frôlant le blackgaze, est complètement envoutant. On est tenu en haleine du début jusqu’à la fin du set (trop court à mon goût), et c’est hébétée mais aussi bouleversée que je sors de ce concert. Le moment fort de ce Tyrant Fest.
Changement d’ambiance avec (père) Karras. Du death, grind, crust, bref on n’est pas là pour rigoler (quoi que) et un beau pit se forme rapidement. Un set sans concession, violent, en témoigne « My Aim Is Violence » qui nous régale avec huit secondes de pur plaisir. La messe est dite.
Avant d’attaquer avec Otargos, on prend une pause à l’Auditorium avec Mutterlein, projet solo de Marion Leclercq qui mêle noise, doom, post-metal pourrait-on dire. Au milieu d’un cercle de faucille, la musicienne est seule avec ses instruments et on a l’impression d’assister à un étrange rituel. Les basses viennent nous cogner la cage thoracique et la voix de Marion est vraiment impressionnante, plein de colère et de mélancolie, une belle expérience.
Et on repart avec les Bordelais d’Otargos qui nous distillent leur black death puissant et compact à travers un set d’une dizaine de morceaux. On sent un côté futuriste, tourné vers la modernité et, surtout, brutal !
Après une belle après-midi où, pour ma part, tout s’est joué à l’Auditorium, on entre dans les têtes d’affiches avec Cult Of Fire, que j’aime beaucoup en studio mais que je n’ai jamais vu en live et, bien entendu, Enslaved, pierre angulaire du black moderne qui n’a plus rien à prouver à personne.
Le Métaphone est plein à craquer pour la performance de Cult Of Fire. Les Tchèques bénéficient d’une belle renommée chez nous et le public est curieux de savoir ce qu’il se passe derrière cet intriguant rideau. Il nous révèle un Vojtech Holub vêtu d’une toge et d’un masque à cornes, pratiquant toutes sortes de rituels sur son autel richement orné de symboles bouddhistes et hindouistes. Le guitariste et le bassiste sont assis en position du lotus sur un siège orné d’un immense serpent, le tout baigné dans une odeur d’encens envoutante. L’ambiance est clairement incroyable, mais la musique n’est pas en reste. Statique et effectuant seulement quelques gestes rituels, on peut apprécier toute la puissance vocale du chanteur et le côté épique et cérémonial de la musique à travers l’épais brouillard dans laquelle la salle est plongée. Un moment magique.
Le temps de remballer le bric à brac façon Louis la brocante de Cult of Fire et quelques soucis techniques plus tard, c’est au tour des Norvégiens d’Enslaved de nous envouter de leur black metal progressif. C’est parti pour un set qui mêle nostalgie avec des titres incontournables comme « Heavenless » ou « Isa », avec de belles harmonies au chant apportées par le batteur, mais aussi des morceaux du dernier album, Heimdal, sorti en mars 2023. Résolument progressif, ce set est parfait pour terminer cette journée riche en découverte.
Pour résumer, cette première journée de Tyrant Fest m’a permis de découvrir de bonnes pépites en live comme Witching ou Nature Morte et de vivre un moment hors du temps avec Cult Of Fire.
Virgil, Yarotz, Nostromo
Je serai moins assidue pour la deuxième journée, travail oblige, et je suis vraiment déçue de louper Queen(Ares). Mais la formation venant de Lille, je ne désespère pas de les voir un jour. Je suis arrivée pile à temps pour Virgil, groupe de black teinté de death de nos contrées du Nord de la France, puissant et efficace. Je continue avec Yarotz, qui m’avait mis une grosse claque déjà au BetizFest à Cambrai il y a 2 ans. C’est à nouveau chose faite et le groupe de post-hardcore irradie l’Auditorium de sa puissance. Je me dirige une dernière fois vers le Métaphone pour Nostromo, dont la référence à Alien ne me laisse pas indifférente. Le pit est énervé, ça envoie du grindcore à tout va mais après un samedi teinté de découvertes plus expérimentales disons, je reste un peu sur ma faim.
Je suis plutôt satisfaite de cette édition du Tyrant Fest qui est ma première participation, avec un samedi particulièrement riche en découvertes. Un fest placé sous le signe de l’Auditorium pour ma part avec une programmation un peu plus underground qui ne m’a pas laissée indifférente mais aussi, de la bonne bière brassée spécialement pour le Tyrant par la brasserie l’Arras’in située à Arras. Du tout bon !