Au Hellfest 2019, j’ai eu l’occasion de rencontrer Mihail, compositeur, claviériste et guitariste du groupe roumain Dirty Shirt. Je vous invite, dans un voyage à travers les frontières géographiques, pour en apprendre un peu plus sur ce groupe qui allie parfaitement l’énergie du metal et le soleil de la culture balkanique.

Tout d’abord qui êtes-vous et que faites-vous dans Dirty Shirt ?

Je suis Mihai, je joue du synthé et de la guitare dans le groupe. Je suis également compositeur. Sinon, Dirty Shirt est un groupe roumain et je suis le seul qui habite en France.

Comment définiriez-vous Dirty Shirt ? Quel est le concept caché derrière ce nom ?

C’est une musique dans laquelle on arrive à mélanger la puissance du metal moderne avec la chaleur de la musique traditionnelle d’Europe de l’Est avec les instruments acoustiques, la folie, la chaleur, tout ça…

Si je vous dis que Dirty Shirt me fait penser à Russkaja vous le prenez pour un compliment ou pas du tout ?

Oui, parce qu’on est un peu dans le même esprit de mélanger la musique moderne rock avec la musique traditionnelle d’Europe de l’Est. Après, le style est vraiment différent parce que l’on a un son très metal, très lourd avec des passages bien nu metal etc. Et en plus, nous on a plus de la musique des Balkans, de Roumanie, de Transylvanie. Eux sont plus axés sur la musique russe. Sinon, c’est une comparaison que l’on trouve sympa.

Est-ce que Dirty Shirt a pour but de faire découvrir la musique d’Europe de l’Est ou ce n’était pas dans vos objectifs ?

Non, ce n’était pas prévu de faire ça. Dans le groupe, on a eu toujours eu pour devise de ne pas se poser de contraintes artistiques. Si on a envie de faire la musique d’une certaine façon, même si c’est un style complètement différent, on teste, on essaye et donc du coup, en faisant ce genre d’essais on a essayé de trouver notre propre son et on a réussi à intégrer du folklore roumain.

Au fur et à mesure et comme on s’amusait bien, on a gardé ça parce que ça donnait une chaleur qui n’existait pas dans le metal. Du coup, c’est devenu naturellement de plus en plus présent. On a même réalisé l’avant dernier album en s’inspirant quasi entièrement du folklore d’Europe de l’Est. Après, sur le dernier, on est repartis dans autre chose, parce qu’on a des influences vraiment très variées. On est une sorte d’éponge musicale, on prend tout ce qu’on aime, qu’on écoute et on le mélange.

Et après, c’est vrai que le groupe est plus ou moins devenu un symbole pour la culture d’Europe de l’Est. Ça nous fait plaisir évidemment, ce n’était pas l’idée mais on a compris que, oui, surtout quand on joue à l’étranger, on représente d’une façon ou d’une autre la Roumanie.

Comment gérez-vous le fait d’être aussi nombreux dans le groupe au quotidien ?

C’est compliqué, surtout que moi j’habite en France, les autres sont en Roumanie. Donc souvent, j’ai mes premières idées que j’enregistre dans mon home studio, une première base instrumentale souvent pas terminée et après je l’envoie à mes collègues qui me donnent des feedbacks, beaucoup de retours. Et comme c’est moi qui produis les albums, je suis très ouvert aux idées des autres, ça enrichit énormément notre musique. Par exemple, pour le dernier album, on était 25 personnes à participer sur les enregistrements et chacun a apporté sa petite touche. On a enregistré des tonnes et des tonnes de trucs et après dedans y’a des trucs merveilleux qu’on a gardés.

Et au niveau du live, vous organisez ça comment ?

On a commencé à faire des tournées avec orchestre additionnel en 2017. On en rêvait depuis un moment mais pour réaliser un tel projet il faut avoir une certaine notoriété, parce que c’est une grosse production et en 2017 on a décidé d’essayer parce que le groupe commençait à bien monter dans le pays. On a fait une tournée de 6 dates en Roumanie avec un orchestre de haut niveau. On a également enregistré un DVD live aux arènes romaines de Bucarest.

Après la tournée, on a collaboré avec eux pour des grands événements ou des grands festivals, mais on ne pouvait pas continuer le projet avec eux à très long terme parce qu’ils ont un agenda super full avec leur orchestre et donc du coup, on a monté un projet qu’on a appelé « Transylvanian FolkCore Orchestra ». On a ramené des musiciens de notre région pour continuer de jouer live avec orchestre. Et cette année, on a fait une tournée de 4 dates en France avec l’orchestre à Paris, à Lyon, lors d’un festival dans les Alpes et à Grenoble.

Donc, pour résumer, on fait avec mais logistiquement c’est la folie. Le budget est d’un coup multiplié parce qu’il y a 30 personnes à loger, transporter, nourrir et rémunérer. Au niveau technique, on a beaucoup de chance, parce qu’on a le même ingé son depuis déjà six ans. Du coup on est monté ensemble. Au début, il venait gratuitement pour nous aider. On a aussi acheté beaucoup de matos parce que si tu veux faire des grosses productions comme ça, il faut investir.

Est-ce qu’il y a des thèmes récurrents dans votre musique ? Avez-vous des thèmes de prédilection ?

Oui, il y a des thèmes récurrents et très souvent, ils sont très liés à des problèmes de société et aux problèmes politiques, surtout en Roumanie. Il y a des soucis politiques. On considère que les choix ne sont pas faits comme il faut, il y a une clique au pouvoir qui est corrompue, qui sont des voleurs incompétents. On a beaucoup de messages de ce genre parce que, qu’on le veuille ou non, on est une sorte de porte-parole. Par exemple, en Roumanie, il y a eu de grosses manifestations, il y a même eu des gens avec des pancartes avec nos paroles écrites dessus. Ça a même été retransmis à la télé, tout ça. Donc, c’est important, je pense, de transmettre ce genre de message.

Après il y a aussi des thèmes de société qui ne sont pas forcément liés à la Roumanie. Des problèmes liés à la nature ou sur la façon dont les politiques ne prennent pas vraiment en compte les besoins des gens et les problèmes d’écologie, les problèmes de malbouffe, les surprofits et ce genre de choses. On parle beaucoup de problèmes de ce genre mais avec notre façon un peu ironique, un peu balkanique, un peu rigolote; mais le message derrière, il est sérieux, vraiment très sérieux. Ces thèmes, ça représente 50 à 70% de nos chansons, le reste concerne la fête et tous les délires.

Que pouvez-vous me dire à propos de l’album « Letchology » ?

Déjà, c’est mon préféré. Je sais que tous les artistes disent que le dernier c’est le meilleur. Mais bon, je pense qu’après des années d’expérience de musique j’arrive quand même à avoir une certaine objectivité, un certain recul par rapport à la musique que je fais. Et je pense que voilà, il est plus abouti parce qu’il a pris le meilleur des deux derniers albums. D’un côté, on a gardé tous les instruments traditionnels, la folie avec les orchestrations balkaniques de « Dirtylicious » mais d’un autre côté, on est partis dans tous les sens comme sur « Freak Show ». Le fait qu’on ait plus d’expérience dans l’orchestration de ce genre, on a déjà travaillé avec ces musiciens, donc il y a une sorte d’alchimie qui s’est réalisée et ça se ressent.

On a aussi collaboré avec de nouvelles personnes, comme par exemple Mathieu, qui nous a écrit les paroles sur 4 ou 5 chansons. Quand il nous a écrit des paroles, il avait une liberté assez grande. Je disais : « Voilà, il y a une ligne mélodique de ce genre, mais après tu peux aller en fonction du ton inspiration ». Il a suggéré des changements qui ont permis de créer un certain groove. Par exemple, un son plus américain ou plus jeune. Pareil avec les musiciens traditionnels, ils sont venus, ils ont fait des trucs, j’ai dit : « C’est bon, ça on garde, même si ce n’était pas prévu ».

Est ce qu’il y a une scène metal en Roumanie et qu’est-ce que vous pouvez me dire là-dessus s’il y en a une ?

Maintenant il y a une scène metal en Roumanie, il y a une vraie scène, mais ça a pris du temps parce qu’avant la révolution 89, la Roumanie c’était un pays communiste où tout était fermé. Il y avait 0% de liberté. Tu vois la Corée du Nord aujourd’hui ? Eh bien c’était ça mon enfance. Et du coup, après les quelques premières années après révolution, être rockeur c’était super cool parce qu’après un système bien fermé, le rockeur c’était l’image rebelle. Mais par contre, il n’y avait pas de scène, il n’y avait rien.

Et donc du coup, il y avait une demande énorme mais il n’y avait pas d’offre. Il y avait des metalothèques dans la petite ville où j’étais au lycée à l’époque, ce sont des discothèques où on mettait du metal les mardis et jeudis. Il y avait 1000 personnes tous les mardis et jeudis dans une petite ville sans concerts, donc c’était la folie mais après très rapidement ça s’est perdu avec la crise économique et tout ça. Et du coup, la première génération de groupes de metal dont on fait partie en Roumanie, on est partis de rien : pas de scène, pas de club, pas de production, pas d’argent, pas de matos, pas d’informations, pas d’Internet, rien, donc c’était très très roots à l’époque.

On jouait quelque chose comme deux ou trois concerts par an dans la région. Il y avait deux clubs et trois festivals qui formaient la scène romaine. Mais après, avec l’intégration européenne, Internet, le changement etc… La scène s’est énormément développée, surtout depuis les dix dernières années.

Nous aussi, on a fait un grand break quand je suis venu en France et quand on a repris, on a profité de toute cette nouveauté. On a appris et maintenant je pense que c’est une scène vraiment au top. Bon, elle est encore petite par rapport à la France, le pays est plus petit mais y’a des vrais clubs. On arrive maintenant à ramener des centaines de personnes, à avoir des festivals composés uniquement de groupes roumains avec 1000, 2000, 3000 personnes et c’est un truc qu’il y a dix ans on n’imaginait pas.

Je vous laisse le dernier mot de l’interview.

Ce qu’on dit d’habitude, c’est qu’on encourage les gens à soutenir les artistes, parce qu’aujourd’hui, je pense évidemment qu’il n’y aura pas un nouveau Metallica ou AC/DC, parce que ça va être difficile de devenir si grand, mais pas quand il y a une multitude d’artistes de qualité extraordinaire. La production s’est démocratisée, l’information s’est démocratisée, le niveau de la scène est beaucoup plus élevé qu’il y a quelques années, donc il faut soutenir les groupes, il faut aller aux concerts et acheter leurs albums, parce que si on ne soutient pas ce mouvement alternatif on va être submergé par la culture facile. C’est dommage parce que le rock c’est une vraie culture.


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